Et si le PIB était devenu un phare qui, telle une sirène, nous guidait non pas vers le chemin du progrès et du bonheur mais vers les récifs les plus acérés des limites de notre environnement ?

Utilisé dans certains textes “de haute portée juridique” (règles d’or budgétaires; “pacte de stabilité et de croissance”; statuts de l’ONU, du FMI, de l’OCDE, de la Banque mondiale...; cadre financier européen, etc), le PIB ignore néanmoins que “l’économie dépend de ressources physiques” et “entretient de ce fait une impression de ‘’monde infini’’ qui ne prépare pas du tout à la gestion des défis qui nous attendent”. Autrement dit, si on veut régler nos problèmes liés à la double contrainte énergétique (raréfaction du pétrole notamment) et climatique (effets dangereux pour l’avenir même de la civilisation humaine), il convient d’être prudent avec l’utilisation que l’on a du PIB et de l’idée de croissance qu’il sous-entend. Il convient même de le remplacer par un ou des indicateurs plus pertinents.

Partant de ce constat, le think tank The Shift Project a entrepris une étude pragmatique du Produit intérieur brut, selon les usages que l’on en a. Il en ressort les éléments suivants.

- Force du PIB:  convention ancrée dans l’histoire, normalisation internationale régulièrement mise à jour par l’ONU, prise en compte de toute l’économie marchande.

- Faiblesse du PIB: indicateur incomplet (pas de prise en compte des activités historiquement féminines, du travail bénévole, du troc, des liens sociaux, des services rendus par la nature, de la dépréciation du capital...), indicateur dénué d’alertes (économique, sociale, environnementale, politique), indicateur ne reflétant pas le bien-être, indicateur portant “une volonté de croissance qui n’anticipe pas les effets de seuil liés à la rareté des ressources”.

“Le PIB est essentiellement utilisé par les gouvernements, les instances supranationales, les média et les économistes”, pas par les entreprises

-Usages concrets du PIB: représentation de la richesse, la puissance, le progrès des nations (PIB, PIB/habitant); représentation de la valeur relative de données économiques (dépenses d’un secteur/PIB); représentation de notre pensée économique (ce à quoi nous accordons de la valeur); définition de la contribution des États à des budgets supranationaux (ex : budget européen); encadrement de la redistribution des fonds internationaux (ex: aide au développement); établissement des prévisions d’investissement (ex : prévisions d’infrastructures de transport); établissement de la notation financière des États (Triple A, etc.); encadrement de la dépense publique (taux de prélèvement obligatoire/PIB, déficit/PIB, dette/PIB); établissement et évaluation des politiques.

Pour The Shift Project, même si certaines utilisations du PIB sont de haute portée juridique et donc fondamentales, les usages définis traduisent “une utilisation très restreinte du PIB. L’immense majorité des acteurs économiques (99% des entreprises, les ménages, la plupart des services publics, les collectivités locales, les associations...) n’ont aucun usage concret du PIB. Le PIB est essentiellement utilisé par les gouvernements, les instances supranationales, les média et les économistes (soit environ seulement 10 000 personnes en France)”.

Evaluer efficacement la puissance des nations, le bien-être, un déficit budgétaire, un objectif...

Plutôt que de le remplacer un autre indicateur global (PIB vert ou autre), les chercheurs de The Shift Project proposent d’identifier d’autres indicateurs, usage par usage:

- Bâtir une évaluation de la puissance des nations mettant en avant des données économiques mais aussi militaires, financières, démocratiques, culturelles, écologiques ainsi que leur émancipation de la « contrainte énergie-climat ».

- Bâtir de nouvelles mesures du bien- être, aux différentes échelles de territoire, à partir d’une écoute véritable des citoyens (comme le font le Japon, la Nouvelle Zélande, la Grande-Bretagne).

- Répartir les crédits européens non pas en visant seulement une harmonisation du PIB par habitant mais en visant également une convergence vers une indépendance énergétique ou une émission réduite de C02 par habitant.

- Mesurer un déficit budgétaire en pourcentage du budget de l’État et non de la « richesse nationale ».

- Définir des politiques économiques à travers des objectifs précis : balance commerciale, indépendance énergétique, taux d’emploi, etc., sans référence à la croissance du PIB.

Force est de constater qu’on en est actuellement très loin. La croissance du PIB sert aujourd’hui “à justifier tout et son contraire, une relance par la dépense publique comme un regain de compétitivité par la rigueur budgétaire”, constate The Shift Project. Quant aux économistes, très peu intègrent encore une réalité pourtant de plus en plus criante: “Le futur de l’économie repose sur l'avenir de l’énergie, qui repose lui sur des ressources non-renouvelables”. Ainsi “la construction d’une économie sans carbone devient vitale pour tout programme politique”. Conserver le PIB comme phare de l’économie revient donc simplement à faire cap sur les récifs des limites physiques de notre environnement. C’est bien tout un “logiciel” qui est à changer.

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