Soit les exportations de notre pétrole se poursuivent bien et avec les pétrodollars on limite nos émissions de gaz à effet de serre, soit on brûle notre pétrole pour assurer notre propre développement intérieur dans le cas où la lutte mondiale pour limiter le réchauffement global à +2°C (nécessitant que 80% des réserves actuelles exploitables d’énergies fossiles restent sous terre) nous pose trop de problèmes. C’est en substance le message de l’Arabie Saoudite à l’approche de la COP21. Cynique.

Grand pays producteur de pétrole et 10ème émetteur mondial de CO2 fossile, l’Arabie Saoudite a enfin déposé sa « contribution prévue au niveau national » (INDC) en vue de la COP 21 (1) pour lutter contre le réchauffement global. Le document saoudien prévoit qu’à l’horizon 2030 le pays évite les émissions de 130 millions de tonnes équivalent CO2, ce qui correspond  environ au quart de ses émissions de 2011 (environ 520 millions de tonnes équivalent CO2). Cependant, l’Arabie Saoudite ne précise pas si cet objectif doit être pris en compte par rapport aux émissions d’une année particulière ou bien s’il correspond à une baisse en 2030 par rapport à la tendance « business as usual ».

L'alternative de l'Arabie Saoudite: réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays avec les revenus du pétrole ou procéder à un développement intérieur accéléré... avec le pétrole

Surtout, le royaume de l’or noir conditionne son objectif à la poursuite de ses exportations pétrolières. Sinon -c’est-à-dire si la lutte mondiale contre le réchauffement global venait à infliger un « fardeau anormal ou disproportionné à l’économie du royaume »- le pétrole sera quand même exploité mais pour le développement intérieur du pays.

Indiquant par ailleurs vouloir construire la plus grosse usine au monde de captage et de stockage du carbone, l’Arabie Saoudite envisage ainsi deux scénarios : le premier assurerait « une diversification économique avec une contribution robuste des revenus de l’exportation du pétrole » tandis que le second reviendrait à « une industrialisation intérieure accélérée basée sur l’utilisation soutenable de toutes les ressources du pays, y compris le pétrole, le gaz et les minéraux ».

Dans le premier scénario, les Saoudiens prévoient que les revenus du pétrole permettent « des investissements dans des secteurs à haute valeur ajoutée comme les services financiers, les services médicaux, le tourisme, l’éducation, les technologies de l’énergie renouvelable et de l’efficacité énergétique pour augmenter la croissance économique ».  L’ambition des 130 millions de tonnes équivalent CO2 est valable pour cette hypothèse.

Rappel: pour limiter le réchauffement global à +2°C, 80% des réserves d'énergies fossiles aujourd'hui exploitables doivent rester sous terre

Dans la seconde hypothèse,  l’Arabie Saoudite développerait « une industrie lourde basée sur l’utilisation du pétrole »,  avec des « contributions croissantes de la pétrochimie, du ciment, des mines et de la production de métal »... « La croissance économique sera bien plus lente avec ce scénario et il sera difficile pour le Royaume de financer ces ambitions climatiques », commente le document.  Donc, dans ce cas, la « contribution » du pays sera ajustée, avec des émissions revues forcément à la hausse.

Rappelons que les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) montrent qu’il faut émettre au niveau mondial moins de 1000 milliards de tonnes de CO2 après 2010 si l’on veut conserver deux chances sur trois de rester sous la limite d’un réchauffement de +2°C depuis l’époque préindustrielle. Ce « budget carbone » impose selon les scientifiques qu’on laisse sous terre 80 % de la réserve prouvée 2011 de charbon, de gaz et de pétrole. Le pétrole de l'Arabie Saoudite est l'un des moins chers à extraire et les réserves prouvées de ce pays sont estimées à environ 36 milliards de tonnes de brut soit des émissions de plus de 110 milliards de tonnes de CO2.

Outre l’Arabie Saoudite, les pays retardataires (les contributions devaient à l’origine être envoyées aux Nations_unies pour le 1er octobre) continuent à envoyer leur INDC : Egypte, Soudan, Fiji, Sri Lanka, Emirats arabes unis, Irak, Pakistan, Burundi, Ouganda, Djibouti, Surinam, Burkina Faso, Togo, Niger, Trinidad et Tobago, Guinée, Oman, Antigua,  Afghanistan, Equateur, Bolivie, Bosnie-Herzégovine, Malawi...

Parmi les pays pétroliers, les Emirats arabes unies visent une part de 24% des énergies renouvelables dans son mix énergétique en 2021, tandis qu’Oman envisage une baisse de 2% de ses émissions entre 2020 et 2030 par rapport au scénario de développement de référence.

(1) COP21: 21ème Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), devant avoir lieu du 30 novembre au 11 décembre à Paris, avec le but affiché de trouver un accord universel capable de limiter le réchauffement global à +2°C depuis l'époque préindustrielle.

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