Insister sur la “responsabilité individuelle” dans l’avenir écologique de la planète ne signifie pas “culpabiliser” mais, pour David Holmgren, cofondateur de la permaculture, vouloir faire prendre conscience “de l’écosystème tout entier dans lequel nous vivons et des rapports que nous entretenons avec lui”, donc du pouvoir de changement qui réside en chaque personne, notamment pour freiner et réorganiser le cycle production – consommation.
Pourquoi ne change-t-on pas très majoritairement nos comportements individuels alors que nous savons que la science rabâche que tous les signaux objectifs montrent que, “business as usual”, nous nous dirigeons collectivement vers un monde fortement indésirable, c’est-à-dire notamment marqué par un réchauffement global de plus de +2°C depuis l'époque préindustrielle, devant s’exprimer avec des désordres climatiques importants et une perte de biodiversité accrue? S’appuyant sur des raisonnements systémiques, la permaculture donne une réponse intéressante.
“La rétroaction stimule la responsabilité individuelle qui, à son tour, se nourrit de la rétroaction”
“A cause de la mondialisation, les avantages, notamment économiques, se concentrent dans certaines zones de richesse (pays et villes riches), tandis que les impacts sociaux et environnementaux néfastes s’accumulent dans des zones reculées naturelles et humaines, et dans les pays pauvres. Il arrive fréquemment que nous ne soyons pas témoins des conséquences de nos décisions et de nos actes”, écrit David Holmgren dans son ouvrage Permaculture. Ce que veut faire comprendre ici ce cofondateur de la permaculture, c’est que “les mécanismes normaux de rétroaction négative et d’autorégulation, qui permettraient d’empêcher ou d’atténuer les comportements inappropriés dans les sociétés traditionnelles, ne fonctionnent pas dans nos sociétés modernes”. Comme l’a souligné l’écologiste américain Amory B. Lovins, il serait au contraire évident par exemple que si les voitures rejetaient leur gaz dans leur habitable, elles seraient différentes depuis longtemps (ou n’existeraient plus), ou que si une usine s’approvisionnait en eau à partir de ses exutoires, elle réviserait assez vite ses concepts (ou n’existerait plus).
Pour réactiver de telles rétroactions, “nous devons prendre davantage conscience de notre dépendance et de notre impact et, dans un second temps, réorganiser nos vies afin de boucler la boucle des causes et des conséquences et satisfaire nos besoins plus près de chez nous”, poursuit David Holmgren. Ici, la formule “penser globalement, agir localement” dépasse donc largement le “simple refus d’un développement local inapproprié”. Elle guide “la réorganisation de nos modes de vie afin que nos impacts soient plus proches de chez nous”, ce qui permettra aux rétroactions de reprendre leurs rôles de régulateurs en cas d’impacts négatifs. “La rétroaction stimule la responsabilité individuelle qui, à son tour, se nourrit de la rétroaction”, complète-t-il.
La responsabilité individuelle, “le moyen le plus puissant de réduire notre impact environnemental total et transformer la société"
On remarquera qu’une telle approche donne une place centrale à la responsabilité individuelle. Il ne s’agit pas pour autant de “culpabiliser” ou de faire de “l’écologie punitive” mais bien de prendre conscience, pleinement et entièrement, “de notre dépendance personnelle à l’égard de l’environnement” local et mondial. “En endossant la responsabilité individuelle de nos besoins et en assumant les conséquences de nos actes, nous refusons d’être des consommateurs dépendants de produits et de services non soutenables, pour devenir des producteurs responsables, aux valeurs et aux productions pertinentes”, argumente David Holmgren.
Alors que l’on semble d’abord compter sur une conférence internationale telle que la conférence Paris-Climat 2015 pour limiter le réchauffement global en dessous des +2°C, quelle influence réelle pourrait avoir la “responsabilité individuelle” ? Il ne s’agit pas avec la permaculture de faire pression sur les pouvoirs publics pour qu’ils infléchissent leur politique. Il s’agit simplement d’”aider les individus, les ménages et les communautés locales à accroître leur autonomie et leur autorégulation”.
Pour David Holmgren, on a là “le moyen le plus puissant de réduire notre impact environnemental total et transformer la société, en freinant et en réorganisant le cycle production – consommation. Cette approche s’appuie “sur le fait qu’une certaine partie de la société est prête, motivée et surtout capable de changer de façon significative son comportement si elle estime que c’est possible et important. Cette minorité, mue par une motivation sociale et environnementale, est le levier d’un changement à grande échelle”, promet David Holmgren.
“Si, aujourd'hui une minorité active se dresse, cela suffira, nous aurons le levain pour que la pâte lève” (Stéphane Hessel)
Approche naïve ? Irréaliste ? Trop lente ? “La politique, l’histoire et l’écologie nous enseignent que la permaculture a de solides raisons d’insister comme elle le fait sur la responsabilité individuelle”, répond David Holmgren. En effet, d’abord, “le principal moteur de notre destruction mondialisée”, c’est “le milliard et quelques d’individus de la classe moyenne, et non les élites, peu nombreuses, ni la majorité des habitants, relativement autonomes mais de plus en plus indigents”. Or, choisir son mode de vie est “un moyen d’expression et d’action individuel” et “cette prise en main individuelle nous offre l’occasion unique de déclencher un changement ascendant”, explique le cofondateur de la permaculture.
Ensuite, lorsque des institutions comme la démocratie parlementaire défaillent, “des individus ou petits groupes de personnes s’avancent sur le devant de la scène pour adapter la société au nouvel âge qui s’annonce. de nouvelles institutions apparaissent alors”, raconte David Holmgren. “Si, aujourd'hui (...) une minorité active se dresse, cela suffira, nous aurons le levain pour que la pâte lève”, a de son côté écrit avec une logique similaire Stéphane Hessel, en citant l’exemple de la seconde guerre mondiale.
Par ailleurs, “la responsabilité individuelle est aussi le moyen le plus rapide de reconstituer les mécanismes de rétroaction négative (et positive) dont nous avons besoin”, ajoute David Holmgren. “Le fait de récolter du bois sur son propre terrain constitue en principe une démarche plus saine pour l’environnement que d’en acheter sur le marché, car cela permet de contrôler tout le processus (et de percevoir d’éventuelles rétroactions négatives). Si l’on n’a pas de terrain, mieux vaut acheter du bois issu de forêts locales, car on a plus de chances de saisir l’étendue des problèmes et d’influer sur les producteurs”, commente-t-il.
Enfin, “développer un mode de réflexion systémique” s’avère selon David Holmgren “indispensable à la conception de la descente énergétique”, c’est-à-dire à ce qui va suivre le pic pétrolier (nous y sommes). Or, penser de façon holistique nécessite “de passer outre ou de renverser une grande partie de l’héritage culturel légué par les siècles derniers”, siècles marqués par le réductionnisme scientifique (consistant à “analyser les plus petites composantes d’un système afin de prévoir et de contrôler les comportements à plus grande échelle”). Il y a donc un apprentissage à faire. Avant de tenter d’amender de grands systèmes complexes, “quoi de plus accessible et de potentiellement plus compréhensible comme système entier que soi-même ?” demande David Holmgren.